2004, Instrumental et acousmatique
Coeur vert des oiseaux
L.L.de Mars & Éric Loillieux
pièces pour lutherie expérimentale, machines et voix autour de textes de Michel Vachey
En 1987, l'année de son décès, je travaillais avec plus ou moins de bonheur à la mise en livret du dernier recueil de poèmes de Michel Vachey, «Après-midi à rien» ; avec le matériel électro-acoustique du guitariste Eric Nédélec dont je partageais alors la chambre et, souvent, avec sa collaboration, j'enchaînais les enregistrements expérimentaux dont je vous épargnerai aujour'd'hui l'écoute : exagérément maniérées, expressionistes et braillardes, ces pièces ne rendaient pas vraiment justice à la poésie gracieuse et chirurgicale de M.V.
Tout ce merdier me permit au moins de découvrir les possibilités immenses offertes par le simple pitchage d'une pédale Delay sur une voix humaine, dont je tire encore aujourd'hui profit (pour «Donner le ton» par exemple, ou pour mes lectures publiques); quoiqu'il en soit, ayant alors effleuré du nez mon seuil de compétence, je fis demi-tour en feignant d'avoir un autre truc sur le feu, jusqu'en 1999.
Ayant entre temps un peu appris de mon métier de compositeur, gagné un peu de la subtilité nécessaire pour faire autre chose que des machines expressives balourdes et sans repos jamais, je décidai de reprendre ces textes en main et de me domestiquer un peu pour eux.
Fidèle à ma vélocité légendaire, je mis à peu près quatre mois pour réaliser la première pièce de trois minutes, «Coeur vert des oiseaux», que vous pouvez découvrir sur cette page (en bas, avec les autres extraits et téléchargements).
Plutôt satisfait du résultat, je ne voyais pourtant pas du tout comment conduire ce morceau à travers un ensemble plus vaste, comment lui donner un train susceptible de l'engager dans un environnement plus complexe, bref, comment articuler ce premier morceau à d'autres, avec les autres pages du recueil de poèmes de M.V.
Je me sentais impuissant devant cette prémisse aussi engageante que décourageante, sans aucune perspective pour elle : disons tout simplement que me confrontant à une toute nouvelle méthode de travail, je m'étais mal préparé à la rationnaliser, à lui adjoindre des instruments de mesure aussi neufs qu'elle.
En octobre 2002, pour mon trente cinquième anniversaire, Eric Loillieux m'expédie les pièces détachées de son invraisemblable contrebasse artisanale, qui me pète malheureusement entre les doigts dans la journée qui suit son montage, cassée net au cou par la tension des cordes. Je suis bien malheureux, elle sonnait bien ; je me promets de la réparer dès que possible.
Moins d'un an plus tard, mon généreux luthier expérimental ayant fait de son côté l'acquisition d'une contrebasse (une vraie de vraie cette fois-ci) répondit à une des innombrables propositions de cadavres exquis faites depuis notre rencontre en m'expédiant une série d'enregistrements de lignes de son instrument. Pendant un an, voilà à peu près ce qui va se passer: à force de découpages acousmatiques et de prises de sons de toutes sortes mixées avec raffinement, j'obtiens une bouillie sonore de quelques heures qui rejoint, au bout du compte, la corbeille de l'ordinateur. Je crains de ne jamais faire quoi que ce soit de ces bandes, et je n'ose même plus écrire à Éric Loillieux.
En mars 2004, un voyage en Belgique me fait visiter une fois de plus l'atelier du plus inventif des luthiers expérimentaux que je connaisse, DJP mort puis réincarné en la personne du démoniaque et bruyant Pangeol Bedon remort puis revenu à son état premier, ceci sans jamais cesser de brancher des trucs sur des machins, tuyauter des pipettes et brinquezinguer des merdasses électriques — ou pas — sous la couche desquelles, peu à peu, disparait son appartement.
Émerveillé par l'orchestre de ses instrumentistes mécano-électriques, je rentre en France plein d'appétit pour le bricolage et je décide, dans un premier temps, de remonter celle que j'appellerai la loillieuse dont j'arque le cou, renforce l'équerre qui joint le manche à la table, change le système de cordes, bricole le manche pour en arrondir le plat, et vernis au passage pour faire plus joli et boucher les fissurettes. Dans un second temps, viendra la création du merdophone à phasing naturel, du merdophone à tubes et du pseudojapophone).
Armé de ce bordel et des lignes de contrebasse d'Eric Loillieux, en avril 2004, je reprend brièvement la première pièce d'Après-midi à rien (coeur vert des oiseaux), histoire de la revigorer un peu et de l'harmoniser (à peine) avec cette nouvelle instrumentation, et je décide de reprendre le chantier de ce livret. Ne voulant pas alourdir ou massacrer une pièce dont j'étais pour une fois plutôt content sous le seul prétexte de l'assortir à un ensemble, je décide d'en faire l'ouverture de cet ensemble, une sorte de table des matières présentant la panoplie sonore qui sera à l'oeuvre dans toutes les pièces, de façon détaillée. Le silence y prend une place beaucoup plus importante que dans les autres compositions, mais je me réserve la possibilité de lui renvoyer un jour un final d'à peu près même facture, comme on pourrait imaginer, à l'autre bout de la lecture, un sommaire.
Je me donne quelques méthodes de travail (dont je causerai sans doute plus tard sur cette page, quand j'aurai fini tout ça), un plan de travail général, j'écris quelques textes supplémentaires pour les articulations ou pour certaines pièces commentaires (la taupe, pour troisième, par exemple) et, surtout, je m'ouvre pour la première fois à cette part d'improvisation (instrumentale comme acousmatique) que je ne m'autorisais jusqu'ici que dans les lectures publiques, renversant mon processus habituel de composition : je décide de ne faire pour chaque piste qu'une seule prise, réservant ensuite le travail de composition - comme un travail de cinéaste - au montage.
Le système d'écriture préalable est réduit à sa plus simple expression, jeu d'agencements de blocs primitifs de six types (lié, noeud, phase, circuit, manière et pan) comme une jeu de construction de bois peint.
L.L. de Mars juin 2004